Quand j'étais nous. Épilogue

Je n'avais pas dix ans, mais je m'en souviens très bien. Lui surgissait avec sa drôle de dégaine, ses cheveux longs, sa peau foncée, ses jeans déchirés et il l'attendait, les mains dans les poches. Il baissait la tête et donnait des coups de pieds dans des pierres ou levait les yeux au ciel. Je le trouvais très beau, je m'imaginais que lorsque je serai grande à mon tour, il pourrait me trouver belle aussi. Et puis elle apparaissait. Elle, elle était un peu disgracieuse mais elle avait un je-ne-sais-quoi. Je les enviais d'être eux. Ils repartaient ensemble sans un regard vers moi.

Et puis un jour, elle ne vient pas. Lui, il attend. Je m'en souviens encore. Il commence à devenir nerveux. Il tourne en rond, lève les yeux vers la maison. Enfin, elle apparaît à la fenêtre du premier étage, elle l'ouvre, se penche et murmure quelque chose. Il lui fait de grands signes, elle lui répond par d'autres signes. Ça et là, elle tourne la tête vers l'intérieur. Elle est inquiète. Il est inquiet lui aussi. Et puis, elle se hisse, elle fléchit un genou, pose un pied sur le bord extérieur de la fenêtre, puis le second. Elle est debout désormais et elle baisse la tête vers lui. Lui a reculé d'un pas, a ouvert ses bras en grand. Je les observe, je suis estomaquée, j'ai peur pour eux. Elle se penche un peu, puis très franchement ; maintenant, elle se jette dans le vide et curieusement cela paraît durer un long moment. C'est une chute douce et parfaite. Ses membres, même sa jambe tordue, sont parfaitement en place. Elle semble légère, elle semble planer. Il la réceptionne maladroitement, la repose sur le sol avec précaution ; pendant quelques secondes, ils se serrent fort dans les bras l'un de l'autre.
Puis ils se libèrent de leur étreinte et ils partent.

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